Manuel Valls: La France a besoin d’un Maroc stable
L’ancien Premier ministre Manuel Valls estime que les élections du 8 septembre au Maroc auront une importance significative pour l’Europe et l’Afrique. Le dirigeant franco-espagnol, qui salue “la fin de la brouille” entre Rabat et Madrid, vante les qualités de l’ex-ministre Aziz Akhannouch, l’un des favoris du scrutin.
“L’été vient d’être marqué par les événements d’Afghanistan et la débâcle américaine. La victoire éclair des Talibans va donner incontestablement une nouvelle force aux groupes terroristes islamistes qui opèrent partout, en Asie, en Afrique, en Europe. Vingt ans après les attentats du 11 septembre 2001, nous avons le sentiment de vivre un immense recul. À quoi donc ont servi 20 ans de présence en Afghanistan, les guerres d’Irak et de Syrie ou les printemps arabes?
Pourtant dans le monde arabo-musulman il existe au moins une raison d’espérer. Au Maroc, le 8 septembre, se tiendront le même jour – et c’est une première dans l’histoire du pays – des élections législatives, municipales et régionales. L’enjeu est de taille car les ‘islamistes’ du PJD (Parti de la Justice est du Développement), qui ont dirigé deux coalitions gouvernementales depuis 10 ans, peuvent perdre les élections législatives. Le Maroc pourrait donc écrire une nouvelle page de son histoire politique post-printemps arabes.
Une diplomatie très active
Depuis 18 mois, sans que les observateurs ne le soulignent suffisamment, la diplomatie marocaine a été très active (inauguration de plusieurs consulats dans le Sahara occidental, accueil des différentes parties libyennes pour trouver une issue au conflit qui les oppose, etc.). Ce déploiement a été couronné par l’accord tripartite (Maroc, USA, Israël) signé le 22 décembre 2020 où le Maroc s’est engagé à rétablir ses relations diplomatiques avec Israël et les États-Unis à reconnaitre la souveraineté du Royaume sur le Sahara occidental.
Le 12 août, le ministre des Affaires étrangères israélien a inauguré le bureau de liaison de l’État hébreu à Rabat. Yaïr Lapid a annoncé qu’Israël et le Maroc ont convenu d’ouvrir réciproquement des ambassades dans quelques mois. Et le roi Mohamed VI, “Commandeur des croyants”, est invité à Jérusalem. C’est un bouleversement considérable, trop peu commenté en France, qui amplifie les accords d’Abraham avec les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan.
Si les relations avec l’Algérie se sont détériorées de manière inquiétante – Alger a décidé de rompre, de manière unilatérale, ses relations diplomatiques avec le Maroc le 24 août – les rapports avec Madrid semblent trouver une voie d’apaisement après l’épisode peu glorieux de l’hospitalisation du chef du Polisario en Espagne et la crise migratoire de Ceuta. Lors de son discours du 20 août, Mohamed VI a annoncé la fin de la brouille avec l’Espagne et le début d’une ‘étape inédite’ dans les relations entre les deux pays.
Tout cela démontre le rôle stratégique du Maroc en Méditerranée et en Afrique – où il est extrêmement actif sur les plans économique et politique -, dans la gestion des flux migratoires ou dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé (notamment le trafic de drogues). Les révélations cet été sur l’utilisation par les services de sécurité marocains du logiciel espion israélien Pegasus ne semblent pas affecter, en attendant les résultats de différentes enquêtes, les relations avec ses principaux partenaires.
Certes il faut être exigeant à l’égard de ce pays ami mais l’Europe et donc la France ont besoin d’un Maroc stable, coopérant et porté par la croissance. Les avancées démocratiques tranchent avec la situation de ses voisins du Maghreb.
Le succès d’Aziz Akhannouch?
Les élections du 8 septembre sont donc à suivre attentivement.
Les sondages sont interdits au Maroc mais les élections des chambres professionnelles tenues le 6 août 2021 ont vu la victoire du RNI (Rassemblement National des Indépendants). Ce parti se définissant comme social-libéral/social-démocrate est dirigé par Aziz Akhannouch depuis 2016. Il a obtenu 638 sièges sur les 2.230 qui étaient à pourvoir, soit 28.61%. Nombres d’observateurs politiques y voient donc les prémices d’un possible succès le 8 septembre.
Depuis la révision constitutionnelle votée par référendum en juillet 2011, c’est la formation politique arrivée en tête lors des législatives qui dirige le gouvernement. Le chef du gouvernement est choisi par le roi qui continue d’avoir un rôle essentiel.
Aziz Akhannouch devient un candidat privilégié pour le poste de Premier ministre.
Ministre de l’Agriculture depuis octobre 2007, il a mis en œuvre le plan “Maroc Vert” lancé en 2008 par Mohamed VI. Faisant de l’agriculture une priorité nationale, ce plan affiche de véritables succès avec notamment une augmentation nette du PIB agricole (de 65 milliards en 2008 à 125 milliards de dirhams en 2018), une forte hausse des exportations agricoles (2,4 fois) et 2 milliards de m3 d’eau d’irrigation économisés et valorisés annuellement – ce qui se retrouve dans la croissance du PIB qui est passée de 7% (1998-2008) à 17% (2008-2018).
Devant ces réussites et face aux enjeux du réchauffement climatique, le roi lui a confié également en février 2020 la stratégie de développement agricole du royaume jusqu’en 2030 avec le plan “Génération Green”, un nouveau programme clé pour l’avenir du pays. Les enjeux sont d’importance, car le Maroc, qui a subi de plein fouet la crise du Covid, malgré une bonne gestion sanitaire, vient de lancer un grand chantier de réformes économiques et sociales, avec l’ambition de devenir un pays émergent d’ici à 2030. Parmi les priorités fixées figurent l’éducation, la santé, la réduction des inégalités ou la lutte contre l’économie de rente.
Le 8 septembre, 18 millions d’électeurs marocains pourront faire leur choix. Le jeu politique marocain peut relever de nombreuses surprises. Les partis traditionnels (le PJD, le PAM ou le parti de l’Istiqlal) sont loin d’avoir dit leur dernier mot. Et dans toutes les hypothèses, le mode de scrutin à la proportionnelle implique un gouvernement de coalition.
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